Vladimir Nabokov - Lolita
Publié le 28 Avril 2025
Il n’y a pas de nymphette
J’ai longtemps tenu à distance ce livre. Je ne voulais pas me mettre dans la tête d’un pédophile. Je savais pourtant, bien avant de lire Vanessa Springora et Neige Sinno que Lolita n’était pas une apologie de la pédophilie mais une dénonciation forte. Pourtant, j’ai eu peur de me confronter à cette œuvre singulière.
Avant même la lecture, j’ai été rebutée par les couvertures des différentes éditions de Lolita. Celle que j’ai lue en est un exemple parmi d’autres.
Comment peut-on représenter des fillettes maquillées à outrance, avec des attitudes aguicheuses, bref des fillettes sexualisées ?
Comment pouvais-je oublier ce qu’est devenu le mot Lolita, justement une jeune fille aguicheuse, provocatrice, qui éveille les sens des hommes plus âgés ?
Comment en est-on arrivé là ?
Comment a-t-on pu détourner ce livre comme Humbert Humbert détourne cette jeune Dolorès ?
Car oui, il n’y a pas de Lolita. Il y a Dolorès Haze. Dolorès, la douleur en espagnol. Et elle a son compte de douleur, Dolorès/Dolly/Lolita/Lo.
Dolorès, douze ans, croise le chemin de Humbert Humbert un jour de 1947, chez elle, alors qu’elle est dans le patio avec sa mère Charlotte. Elle croise le chemin d’un européen qui, après son divorce, s’installe aux Etats-Unis où il devient professeur d’université.
Humbert Humbert est un homme proche de la quarantaine. Il est élégant, beau (selon lui car tout est de son point de vue). Il est courtois, bien élevé et très érudit. Un beau parti. Mais Humbert Humbert cache aux gens sa passion perverse pour une catégorie de petites filles qu’il nomme les nymphettes. Ces petites filles qui ont quelque chose qui l’attire dans leurs gestes, dans leur attitude.
Pourtant, il n’y a pas de nymphette comme il n’y a pas de Lolita. Ces petites filles sont comme toutes les autres petites filles. La différence, c’est le regard pervers que pose Humbert Humbert sur elles. Nous sommes dans le cerveau d’un malade qui cherche à justifier ses points de vue et ses actions aux lecteurs, piégés dans sa tête.
Oui, Humbert Humbert use de son talent de manipulateur pour tenter de mettre le lecteur dans sa poche. Mais il a plus fort que lui : l’auteur, Vladimir Nabokov qui, avec talent, va défaire Humbert Humbert et le ramener à sa place, celle d’un criminel.
Ce qui change tout dans ce roman qui aurait pu être scabreux et ignoble, c’est que Nabokov n’oublie pas de faire de son narrateur un homme qui révulse. Il se joue de lui avec son style grandiloquant, son style lyrique qui finit même par devenir humoristique.
Si la première partie est un peu l’âge d’or d’Humbert Humbert, celle où il se présente sous son meilleur jour, la seconde partie qui débute après le premier viol de Lolita est non seulement la descente aux enfers de la fillette mais aussi celle de son bourreau.
Comment en est-on arrivé là quand on lit ces mots de la bouche même de Lolita : « le mot juste est inceste » ; « je devrais appeler la police et leur dire que tu m’as violée » ?
Et j’oublie que beaucoup n’ont pas lu ce livre, se sont contentés des « on dit que », ont juste vu l’adaptation de Stanley Kubrick.
Et j’oublie que beaucoup ont lu le livre mais on voulut y voir ce qu’ils voulaient… ce qui en dit long sur la sexualisation des enfants dans nos sociétés dont on paie encore le prix fort aujourd’hui.
Une chose est sûre, j’ai enfin lu Lolita et malgré le sujet, ce fut une révélation. J’ai lu un grand livre d’un grand auteur que je souhaite lire de nouveau. Je n’ai aucun regret de l’avoir ouvert si tardivement. Il faut parfois laisser du temps au temps. Et puis si on devait lire toutes les grandes œuvres rapidement, on s’ennuierait le reste de notre vie.
Je suis donc ravie d’avoir enfin fait cette découverte dans le cadre du challenge « Les classiques c’est fantastique » organisé par Moka Milla consacré en ce mois d’avril à la littérature du XXe siècle.
Traduit de l’anglais par Maurice Couturier.
Vladimir Nabokov parlant de "Lolita" en 1975 dans "Apostrophes"