Publié le 15 Août 2025
La fureur de vivre
c’est une femme mais elle pourrait être toutes les femmes
elle pourrait être un chœur de femmes
elle est celle « qui refuse de comprendre »
sur cette scène de théâtre
dans « le pré carré d’ombre et de silence qui peut [nous] tenir lieu de parloir »
elle ne veut pas comprendre
« parce que comprendre c’est déjà accepter »
[…] « c’est trahir »
elle venait implorer mais elle n’implore pas
pour ne pas se soumettre
pour ne pas de mettre à genoux
pour ne pas
« ramasser les pommes de l’arbre de la guerre »
non elle est furieuse
non elle est la mère furieuse
elle reste debout, digne, dans sa colère
elle est debout et elle crache et elle interpelle
toi
toi l’homme de la guerre
homme de la guerre elle te regarde
regarde là
elle te dit regarde-moi
toi qui perpétues la mort
toi qui fais lui répéter « et l’on tue ici »
elle use de sa voix « si proche du silence
et qui n’a que l’obstination fragile du coquelicot
pour te mettre à la question »
toi qui engendre
« plus de victime sous le granit de l’histoire
que de feuilles aux forêts d’Amazonie »
elle est là et elle t’accuse et elle a raison
et pourtant face aux décombres
elle fait un songe
comme Martin Luther King
elle fait un songe
elle espère recommencer l’histoire avec
« l’obstination du cerisier qui fait déborder la lumière »
écoute-là
écoute sa prière
« dans la sueur du soir »
écoute encore et encore
écoute encore les bruits ici-bas
encore aujourd'hui
comme tant d’années auparavant
écoute sens vois ce qui
se passe ici et là et là-bas
écoute cette Stabat Mater Furiosa qui
n’a pas pris une ride
hélas !
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« C’est la langue qui fait spectacle » dit Jean-Pierre Siméon, auteur de ce seul en scène incantatoire écrit en trois semaines en 1997 au Liban.
Un long monologue dans une logique de dialogue où un « Je » féminin s’adresse à un « Toi » masculin et, par rebond, au spectateur qui devient un acteur involontaire.
La Stabat Mater n’a plus le sens religieux de la douleur mais celui de la fureur tout comme elle convoque également des références mythologiques (Eole, Myrrha) mais aussi plus contemporaines (Verdun, Auschwitz, Grozny, Beyrouth, Kaboul).
Un texte écrit par un homme né peu après la Seconde Guerre mondiale, marqué par la Shoah mais également marqué par ces années 90 où les conflits et horreurs s’enchaînent. Un texte écrit par un homme habité par « un sentiment violent, amer, déconcerté ».
« C’est la langue qui fait spectacle », dit le poète alors la langue est là pour porter deux mouvements en alternance : un mouvement passé de paix, de plénitude, à la langue pleine, traînante même si rythmée et un mouvement présent de chaos, de guerre, à la langue violente, saccadée, mitraillée.
« C’est la langue qui fait spectacle » et on aimerait parfois que le spectacle ne soit qu’une affaire de langue. Nous savons qu’il n’en est rien mais nous aussi, comme cette Stabat Mater, comme un autre avant elle, on aimerait faire un songe, un rêve
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