graphique

Publié le 12 Novembre 2025

Shaun Tan - Là où vont nos pères

Bulles silencieuses

Dans cette BD muette, Shaun Tan nous raconte l’histoire d’un homme contraint de quitter son pays, sa femme et sa fille pour tenter d’avoir une vie meilleure ailleurs. Nous le voyons ainsi partir en paquebot avant d’atterrir dans un pays mystérieux, étrange où il va faire la rencontre d’autres immigrés, des hommes et des femmes aux parcours singuliers et pourtant unis par ce déracinement.

Pour cette BD, Shaun Tan s’est inspiré de la propre vie de son père qui a quitté la Malaisie pour s’installer en Australie mais aussi d’autres témoignages et de vieilles photographies. D’ailleurs, beaucoup de vignettes de cet ouvrage sont petites, alignées comme des clichés d’une pellicule photo ou cinéma.

Le choix des bulles silencieuses est excellent. Le silence marque la solitude de l’immigré mais aussi les difficultés de communication renforcées par l’utilisation d'un alphabet étrange dans ce pays où il vit.

L’univers graphique est particulier : il mélange à la fois des scènes hyper réalistes mais également des scènes plus oniriques et fantastiques ou encore futuristes. L’ensemble fonctionne pourtant très bien.

Le seul élément surprenant, c’est l’absence de racisme, de xénophobie dans la BD même si quelques planches peuvent suggérer des choses. Chaque personne que l’homme rencontre l’accueille plutôt bien. Je ne connais pas les raisons de l’auteur mais je ne crois pas à une vision idéaliste. Sans doute que Shaun Tan a voulu surtout axer son récit sur l’expérience du déracinement plutôt que sur le rejet. On sent qu’il ne veut pas faire de son travail un objet politique en tant que tel mais un objet intime.

Je ne connaissais pas cette BD qui a eu un grand succès en France à sa sortie en 2007 ; ma lacune est enfin comblée et avec plaisir.

Shaun Tan - Là où vont nos pères
Shaun Tan - Là où vont nos pères
Shaun Tan - Là où vont nos pères

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Publié le 5 Novembre 2025

Hayao Miyazaki - Le Voyage de Shuna

Les germes d’une œuvre

Cet ouvrage est publié au Japon en juin 1983, deux ans avant la création du Studio Ghibli. La création a cependant commencé dès 1980 au même moment où il travaillait sur Nausicaä et la Vallée du Vent (le manga puis le film). On retrouve d’ailleurs cette même ambiance post-apocalyptique.

Le Voyage de Shuna n’est cependant pas un manga mais un emonogatari, ce qui signifie un récit illustré. Il est assez méconnu des admirateurs de Miyazaki et pourtant on retrouve tout ce qui va inspirer ses futurs chefs-d’œuvre animés tels que Princesse Mononoké (on retrouve le yakkuru comme celui d’Ashitaka, par exemple) ou même plus tardivement Les Contes de Terremer, réalisés par son fils Gorō d’après l’œuvre d’Ursula K. Le Guin.

Le récit est né d’une légende tibétaine que Miyazaki a lu en traduction japonaise, intitulée Inu ni natta ōji (Le Prince qui fut changé en chien). Le jeune prince Acho vole des graines dorées dans la tanière du Roi Serpent dans l’espoir de nourrir son peuple. Cependant, il est rattrapé par le Roi et transformé en chien.

De ce récit initial, Miyazaki n’en garde que l’essence, celle du prince qui part vers l’Ouest pour trouver des graines dorées légendaires dans le territoire des « êtres divins ». Il rencontre en chemin Thea et sa sœur qu’il libère de leur condition d’esclaves. Mais comme toujours chez Miyazaki, ceux qui ont aidé se font eux aussi aider en retour.

Le Voyage de Shuni aborde le thème de l’esclavage à travers le trafic d’êtres humains pour obtenir non pas de l’or mais des graines qui s’avèrent pour autant stériles. Elles peuvent nourrir la population mais elles ne permettent pas de faire soi-même la culture. Une façon détournée d’évoquer notre monde économique globalisé où tout le monde dépend de tout le monde, où l’on importe et exporte tout, où nous n’avons pas de quoi assurer la subsistance, individuellement ou en petit collectif.

Pour autant, Shuna n’est pas non plus un être aux grandes convictions comme d’autres héros chez Miyazaki. Il est lui aussi attiré par la promesse d’une abondance. Il est plus solitaire et sans doute plus sombre. Il a cependant Thea qui lui permet de se recentrer et de gagner en humilité.

Si Le Voyage de Shuna n’a pas la puissance des animés et des mangas de Miyazaki, il est très important car il porte en lui les germes du travail des décennies suivantes. Pour le coup, il est un peu cette graine que recherche Shuna pour l’abondance. Et cette graine-là est loin d’être stérile…

Traduit du japonais par Léopold Dahan.

Hayao Miyazaki - Le Voyage de Shuna
Hayao Miyazaki - Le Voyage de Shuna
Hayao Miyazaki - Le Voyage de Shuna
Hayao Miyazaki - Le Voyage de Shuna
Hayao Miyazaki - Le Voyage de Shuna

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Publié le 30 Juillet 2025

Michel Durand / Victor Hugo - Les Travailleurs de la mer

Classique fantastique en BD

Après Les dents de la mer, je reviens avec un autre classique fantastique insulaire adapté en graphique : le grandiose Les Travailleurs de la mer de Victor Hugo sous le trait de Michel Durand.

Nous sommes sur l’île de Guernesey dans les années 1820. Gilliatt est un marin solitaire et peu apprécié par la communauté. Il est un véritable couteau suisse capable de tout avec ses mains qui travaillent sans relâche. Il est secrètement amoureux de Déruchette, la fille adoptive de Mess Lethierry, le propriétaire de La Durande, l’un des premiers navires à vapeur dirigé par le capitaine Clubin. La Durande, à la suite d’une machination de Clubin, échoue un jour sur l’écueil Douvres. Si le bateau peut se reconstruire, la machine à vapeur, elle, ne peut être remplacée. Mess Lethierry souhaite organiser un sauvetage de la machine tout en sachant que le prix à payer pour les éventuels volontaires est très élevé. C’est alors que Déruchette se propose d’épouser celui qui réussira à ramener la machine. Il n’en faut pas davantage pour que Gilliatt se décide à braver les dangers de la mer…

Quelle merveille cette adaptation en BD de ce grand classique de Victor Hugo ! Je suis autant saisie par la beauté des planches que par la façon dont Michel Durand a su condenser le récit en peu de pages et avec une place importante accordée au dessin.

Michel Durand s’est inspiré des techniques de gravures sur bois utilisées à l’époque : il offre ainsi un dessin hachuré sans contour d’une minutie incroyable. Le nombre d’heures passées sur chaque planche a dû être considérable. Malgré cette technique compliquée, on admire tous les détails notamment ceux sur la mer aussi bien déchaînée que calme.

Une belle adaptation, sensible, intelligente qui me donne maintenant envie de l’acheter après l’avoir empruntée à la bibliothèque.

Michel Durand / Victor Hugo - Les Travailleurs de la mer
Michel Durand / Victor Hugo - Les Travailleurs de la mer
Michel Durand / Victor Hugo - Les Travailleurs de la mer
Les classiques c'est fantastique - saison 6 - juillet 2025

Les classiques c'est fantastique - saison 6 - juillet 2025

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Publié le 16 Avril 2025

Inès Léraud et Pierre Van Hove - Champs de bataille

Remembrement

Cette BD est le fruit d’une enquête de terrain de plusieurs années avec la collecte de témoignages oraux et de documents de la presse locale et nationale, dans les archives personnelles de témoins du remembrement et dans les archives départementales.

Le récit débute à Damgan, dans le Morbihan, en 1953, avec un suicide. À quarante kilomètres se trouve Fégréac qui est l’une des premières communes de l’ouest de la France à avoir été remembrée dans les années 50. C’est une commune située dans l’ancien département de la Loire-Inférieure (devenue Loire-Atlantique depuis), à seulement quelques kilomètres de Redon… une zone qui a connu cet hiver 2025 d’importantes inondations… Bientôt, les remembrements concernent toute la France.

Pourquoi cette volonté politique de remembrement étendue à toutes les campagnes françaises ? Pourquoi ce remembrement a-t-il été mené de façon si autoritaire après la Seconde Guerre mondiale ? Comment a-t-il déchiré la population rurale ? Quelles ont été les conséquences économiques, sociales et écologiques ? Ce sont à toutes ces questions qu’Inès Léraud et Pierre van Hove répondent.

Si le remembrement a eu des prémices dès la Première Guerre mondiale, c’est le gouvernement de Vichy qui a demandé une nouvelle loi plus autoritaire et expéditive en 1941. De Gaulle n’a fait que poursuivre cette politique agricole.

La BD permet également de voir le rôle de la FNSEA  et de ses déclinaisons départementales dans cette opération lucrative où les petits paysans sont spoliés au profit de plus puissants. Notons le poids également du plan Marshall d’après-guerre, du « père de l’Europe » Jean Monnet. Avec toujours cette même litanie : la quête de progrès. C’est ainsi que la France voit la naissance de son plus grand plan social : la réduction drastique des agriculteurs qu’on veut tourner vers l’industrie, là encore signe de progrès et de prospérité. Le tout est arrosé par une propagande médiatique poussée et des recours déboutés. C’est sans compter sur quelques affaires judiciaires pas reluisantes.

Mais, au-delà des aspects politiques, la BD soulève la fin d’une ère, d’une insouciance, d’une autosuffisance. Le travail est de plus en plus mécanisé, avec de plus en plus de pression : les agriculteurs s’endettent, vivent dans l’angoisse… se suicident. Les campagnes se divisent entre pro et anti remembrement.

Enfin, cette politique de remembrement est une catastrophe écologique. La destruction des haies ne permet plus d’éviter des inondations et le recours aux pesticides s’est multiplié, au moment même où Rachel Carson évoque les dangers dans son livre Printemps silencieux.

Cette BD est un ouvrage certes à charge mais pas pour rien. On trouve à la fin une partie archives avec des articles de presse, des photos, des chansons etc.

Inès Léraud et Pierre Van Hove - Champs de bataille
Inès Léraud et Pierre Van Hove - Champs de bataille
Inès Léraud et Pierre Van Hove - Champs de bataille

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Publié dans #Graphique, #Ecologie

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