Publié le 30 Juillet 2025

Michel Durand / Victor Hugo - Les Travailleurs de la mer

Classique fantastique en BD

Après Les dents de la mer, je reviens avec un autre classique fantastique insulaire adapté en graphique : le grandiose Les Travailleurs de la mer de Victor Hugo sous le trait de Michel Durand.

Nous sommes sur l’île de Guernesey dans les années 1820. Gilliatt est un marin solitaire et peu apprécié par la communauté. Il est un véritable couteau suisse capable de tout avec ses mains qui travaillent sans relâche. Il est secrètement amoureux de Déruchette, la fille adoptive de Mess Lethierry, le propriétaire de La Durande, l’un des premiers navires à vapeur dirigé par le capitaine Clubin. La Durande, à la suite d’une machination de Clubin, échoue un jour sur l’écueil Douvres. Si le bateau peut se reconstruire, la machine à vapeur, elle, ne peut être remplacée. Mess Lethierry souhaite organiser un sauvetage de la machine tout en sachant que le prix à payer pour les éventuels volontaires est très élevé. C’est alors que Déruchette se propose d’épouser celui qui réussira à ramener la machine. Il n’en faut pas davantage pour que Gilliatt se décide à braver les dangers de la mer…

Quelle merveille cette adaptation en BD de ce grand classique de Victor Hugo ! Je suis autant saisie par la beauté des planches que par la façon dont Michel Durand a su condenser le récit en peu de pages et avec une place importante accordée au dessin.

Michel Durand s’est inspiré des techniques de gravures sur bois utilisées à l’époque : il offre ainsi un dessin hachuré sans contour d’une minutie incroyable. Le nombre d’heures passées sur chaque planche a dû être considérable. Malgré cette technique compliquée, on admire tous les détails notamment ceux sur la mer aussi bien déchaînée que calme.

Une belle adaptation, sensible, intelligente qui me donne maintenant envie de l’acheter après l’avoir empruntée à la bibliothèque.

Michel Durand / Victor Hugo - Les Travailleurs de la mer
Michel Durand / Victor Hugo - Les Travailleurs de la mer
Michel Durand / Victor Hugo - Les Travailleurs de la mer
Les classiques c'est fantastique - saison 6 - juillet 2025

Les classiques c'est fantastique - saison 6 - juillet 2025

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Publié le 28 Juillet 2025

Peter Benchley - Les Dents de la mer

Carnassiers

Pour démarrer cette nouvelle saison des classiques fantastiques chez Moka Milla, nous devions lire un récit insulaire. Il ne m’en fallait pas plus pour jeter mon dévolu sur Les dents de la mer de Peter Benchley puisque l’histoire se déroule sur l’île fictive d’Amity.

Ceux qui me suivent savent que j’adore le film de Steven Spielberg. Je connais les répliques par cœur. Il fait partie des films qui ont compté pendant mon enfance.

Pour autant, je n’avais encore jamais lu le livre. L’année dernière, les éditions Gallmeister ont ressorti une nouvelle traduction pour les cinquante ans du livre. Et maintenant, nous fêtons les cinquante ans du film.

L’écriture de Jaws, c’est un peu l’histoire idéale de la réussite américaine. Et pourtant, Peter Benchley ne ménage pas la société américaine et sa quête perpétuelle d’argent.

Je ne vous fais pas l’affront d’un résumé, tout le monde connaît l’histoire même sans avoir vu le film.

Autant le dire tout de suite, les différences entre le livre et le film sont nombreuses, tant sur la chronologie que sur les personnages mais surtout dans l’essence du récit.

Là où le film est un divertissement, une aventure, un film frisson magnifiquement réalisé avec cette musique simple mais efficace de John Williams, le livre parle surtout de l’avidité humaine, des tensions sociales mais aussi sexuelles. La traduction française « Les dents de la mer » va trop loin car il faudrait retirer son génitif. Les « mâchoires » sont diverses et variées et ce ne sont pas forcément celles du squale qui effraient le plus.

Sur l’île d’Amity, la saison touristique est capitale pour la population qui vit bien souvent des aides sociales en hiver. Une mauvaise saison peut précipiter de nombreuses familles sur la paille. En parallèle, de gros richards, mafieux pour certains, profitent de cette misère sociale et de l’afflux des touristes new-yorkais pour s’en mettre plein les poches. Si le requin est l’élément central de l’histoire, ce n’est pas tant pour lui-même que pour ce qu’il soulève de la société consumériste américaine des années 70. Et ça n’a pas pris une ride !

Pour autant, j'ai été dérangée par des clichés sexistes et même un peu racistes au début du roman. Je n'oublie pas cependant que Quint est un personnage misogyne dans le film là où il a d'ailleurs bien plus d'épaisseur que dans le roman.

Spielberg a surtout bien fait d'abandonner certains aspects de l'histoire qui n'apportent pas grand chose ou sont amenés maladroitement, comme l'adultère. Enfin, je n'ai pas su m'attacher à ces personnages assez antipathiques.

Le succès considérable du livre et surtout du film a eu des répercussions importantes dont l’auteur n’a pris conscience que des années plus tard. La peur du requin s’est développée et sa chasse également. Peter Benchley et son épouse Wendy ont fini par s’engager auprès d’associations pour sauver les océans et notamment sa faune. Il est à noter tout de même que « Jaws » a fait naître des vocations de scientifiques, de plongeurs. Deux faces d’une même pièce qui vaut de l’or.

Traduit de l’anglais américain par Alexis Nolent.

Les classiques c'est fantastique - saison 6 - juillet 2025

Les classiques c'est fantastique - saison 6 - juillet 2025

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Publié le 20 Juillet 2025

Rim Battal - Je me regarderai dans les yeux

Emancipation et résistances

Le roman s’ouvre sur une scène chez une gynécologue. Une scène qui pourrait être banale pour toute femme. Et pourtant, ce que vit Rim à dix-sept ans n’a rien d’anodin.

On remonte le temps. Rim vit à Marrakech. Comme toute adolescente, elle connaît les premiers émois et cherche à repousser les limites de ce qu’on l’autorise à faire. Un soir, elle est surprise en train de fumer dans sa chambre avec sa sœur. Le déferlement de la violence.

Rim décide de s’enfuir rejoindre sa tante Aida à Casablanca, une tante qui semble plutôt libre et progressiste. Et pourtant, Rim ne s’attend pas à ce que sa transgression prenne des proportions démesurées et engendre des actes qu’elle ne soupçonnait pas devoir vivre. Le tout orchestré par les femmes de la famille. On n’est jamais aussi bien trahi que par les siens.

À travers ce récit, Rim Battal montre la puissance des injonctions patriarcales et la façon dont les femmes les intériorisent. Même dans des milieux plutôt favorisés comme celui de la jeune Rim. On voit que les femmes usent de subterfuges, de stratégies pour conquérir des espaces de liberté dans une violence institutionnalisée, dans une société où seules compte la réputation et les conventions. Les femmes, en voulant protéger leurs filles ou en voulant maintenir une réputation si durement obtenue, ne font qu’alimenter la machine. Elles sont à la fois les victimes et les bourreaux. L’autrice montre qu’au-delà de ces subterfuges, de ces « stratégies de survie », il convient de résister et de faire ce qu’il faut pour gagner véritablement la liberté en tant que femme. Pour s’émanciper définitivement du poids de la société.

J’ai déjà beaucoup lu la poésie de Rim Battal et j’ai retrouvé dans son roman son écriture percutante, incisive que j’aime. Malgré le sujet, le texte n’est pas plombant, au contraire, il y a même des moments drôles et on ressent tellement cette soif de liberté. Son texte est à l’image de la vie, à la fois terrible et belle. Je continuerai bien évidemment de suivre l’autrice tant en poésie qu’en fiction.

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Publié dans #Roman, #Féminisme

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Publié le 16 Juillet 2025

Olivia Tapiero - Un carré de poussière

J’ai adopté différentes formes, différents visages. Oracle et victime, enquête et poussière, insecte et couteau, détective et parasite j’ai tourné sur place aux portes de la raison. Otage d’un écho lent je maganais les vieux chemins. J’avais choisi de bons morceaux pour me faire un corps, et vêtue de bribes je faisais confiance à la boue

Contre la raison

À l’école de la philosophie, la poétesse est tombée de haut. La connaissance rime avec violence. Notre culture n’est que violence. La femme n’est qu’une viande, qu’une chair vivante, qu’une proie.

« À présent percée, frappée de lumière j’avance, dans la poussière et contre la raison ».

Face à une civilisation qui abîme, la poétesse, telle une Pythie, veut faire tomber les masques et soulever la poussière, les particules, les débris. Elle veut remuer la boue.

Olivia Tapiero, en « technicienne d’une scène de crime », décide de mener l’enquête :

« Je vais rédiger un rapport à la hauteur des disparitions, où les ratures sont des fantômes qui parlent ».

Elle n’hésite pas à détourner les philosophes, à renverser la raison en caviardant des pages d’ouvrages comme La République de Platon ou Histoire des animaux d’Aristote. Retourner les armes contre l’oppresseur.

Et elle apprend à lutter à l’horizontal dans ce monde d’une grande verticalité. « La femme s’allonge et c’est à partir de cette horizontalité qu’elle saisit sa condition ».

Olivia Tapiero nous livre ainsi bien plus qu’un recueil de poésie, elle nous donne un essai poétique où elle déconstruit la connaissance, le langage rationnel. Elle construit contre la philosophie, contre la rationalité, contre la misogynie, contre la violence.

Un recueil certes exigeant mais ô combien stimulant.

Il y a les choses et la poussière des choses. Les structures se révèlent quand elles s’effondrent

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Publié dans #Poésie, #Féminisme

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