Publié le 2 Octobre 2025
De la lumière aux ténèbres
En ce mois de rentrée scolaire, nous devions lire une œuvre au programme du bac de français ou de l’agrégation de lettres pour Les classiques c’est fantastique. Les Œuvres romanesques de Claire de Duras étant au programme de l’agrégation, j’ai jeté mon dévolu sur la nouvelle Ourika publiée en 1823, à peine quelques années avant le décès de l’autrice.
Dans cette nouvelle longtemps oubliée (tout comme son autrice), inspirée de faits réels, Claire de Duras décide de faire d’Ourika non seulement la première héroïne noire de la littérature française mais aussi une héroïne qui prend elle-même la parole.
Dans un couvent, un médecin rend visite à une vieille femme qui décide de lui raconter son histoire avant de mourir. Nous suivons ainsi une jeune enfant ramenée du Sénégal par le gouverneur, le chevalier de B. Elle est confiée aux bons soins de sa tante, la maréchale de B., qui l’éduque comme n’importe quelle petite fille de sa société. Elle hérite ainsi des codes, de la culture de cette société où elle est heureuse et où elle n’a pas vraiment conscience de sa couleur d’autant plus que tout le monde lui porte de l’intérêt.
Pourtant, le soir d’un bal en son honneur, elle surprend derrière un paravent la conversation entre sa bienfaitrice et la marquise. La foudre s’abat sur elle, tout son monde s’écroule, elle prend conscience que son destin est brisé car elle n’a pas la bonne couleur de peau. Cette révélation, couplée à un chagrin d’amour terrible pour Charles, le petit fils de Madame de B., la décille et lui permet ainsi de voir que le monde dans lequel elle évolue avec innocence est en fait hypocrite, plein de préjugés…
Ourika est bien plus qu’un roman d’apprentissage. Cette nouvelle porte en elle toutes les convictions, tous les engagements de l’autrice. Née dans une famille martiniquaise, d’un père luttant contre l’esclavage et mort guillotiné, Claire de Duras évoque à travers le destin d’Ourika le désenchantement et la désillusion provoquées par une Révolution Française qui n’a pas réussi à gommer les inégalités et un Empire qui a remis l’esclavage. L’autrice dénonce aussi l’hypocrisie du milieu aristocratique de son temps, imprégnée du mythe du « bon sauvage ».
Outre les aspects historiques et engagés, Ourika est littérairement à la croisée de l’héritage des Lumières mais aussi de l’avènement du Romantisme : promotion de l’individu en tant qu’être singulier, fait d’émotions et de sentiments exprimés de façon lyrique. Claire de Duras était proche de Chateaubriand qui l’a encouragée à écrire.
Enfin, il ne faut pas omettre l’aspect tragédie grecque avec cette héroïne prise aux forces du destin, vouée à la solitude et à la mort. C’est dans cette dimension que Claire de Duras se confond avec son héroïne, elle-même aux prises avec la maladie (la tuberculose) et la solitude (son mari l’a épousée par intérêt et la trompe sans cesse). Et on rejoint ainsi la citation de Lord Byron en exergue : « This is to be alone, this, this is solitude ».
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