Jacques Roubaud - Quelque chose noir
Publié le 29 Septembre 2025
La mort est la pluralité obligatoire.
Nonvie
Poète membre de l’Oulipo, Jacques Roubaud publie en 1986 un recueil bien différent de ses précédents : Quelque chose noir. Il est dédié à sa femme Alix Cléo décédée trois ans auparavant à seulement trente-et-un ans.
Alix Cléo était une photographe canadienne, arrivée en France dans les années 70 pour faire une thèse sur le philosophe Wittgenstein. Elle épousa Jacques Roubaud en 1980. Elle était également l’autrice d’une séquence de dix-sept photos, intitulée Si quelque chose noir qui a donc inspiré directement le titre de ce recueil-hommage.
Jacques Roubaud a fait publier le journal d’Alix Cléo au Seuil en janvier 1984, retranscrit avec des ajouts de photographies.
Sans doute cette plongée dans l’œuvre et les écrits d’Alix a conduit Jacques Roubaud à une intériorisation des mots de son épouse et la venue de ce recueil tant habité par la mort, la noirceur mais aussi par l'œuvre de sa femme. Il faut dire que le travail d’Alix Cléo était lui aussi très habité par l’esthétique mortuaire avec une importance des nus, des gisants.
Quelque chose noir est plus qu’un recueil, c’est comme le tirage sans cesse renouvelé d’une pellicule de photos, un « roman-photo » où la mort de l’aimée est évoquée de façon directe, implacable, froide, presque à distance et ce dès le premier poème: « Il y avait du sang lourd sous ta peau / dans ta main tombé au bout des doigts / je ne le voyais pas humain ». On sent que le poète souhaite raconter la vérité dans toute sa crudité. Nous ne sommes pas face à une élégie : tout n’est que douleur, violence, noirceur. Cependant, malgré tout, la référence à la présence d’Alix est constante, notamment à travers ses photographies.
Si le recueil est dans la tradition littéraire de la perte de l’être aimé, le mathématicien oulipien n’est jamais très loin. Le recueil est structuré en neuf sections de neuf poèmes de neuf vers auxquels il faut ajouter un dernier poème Rien, datant de 1983. Cette contrainte poétique est peut-être une façon pour le poète de mettre de la distance avec ce sujet si intime.
Nous avons une multitude de recours stylistiques accentuant le lyrisme : l’utilisation du blanc, la fragmentation, la répétition, le rythme ternaire… Nous sommes dans le ressassement, dans le ressac des pensées et images du poète. Sans doute cette façon de procéder est aussi le moyen pour le poète de sortir de cette « aphasie » dont il a été victime avec le décès, cette phase de silence et d’impuissance poétique de plusieurs mois.
Ce recueil est d’une très grande richesse et c’est sans doute ce qui a motivé son inscription dans les programmes des agrégations de lettres 2026. Il semble également important, pour mesurer toute la force de ce recueil, de lire en parallèle le journal d’Alix Cléo et un autre ouvrage de Roubaud sorti également dans les mêmes eaux que Quelque chose noir, à savoir Le Grand Incendie de Londres. Je ne l’ai pas fait.
La meilleure façon de parler de ce recueil est tout simplement de le laisser parler lui-même, alors je tire ma révérence avec des extraits.
Lu dans le cadre du challenge « Les classiques c’est fantastique » organisé par Moka Milla dont le thème pour ce mois de septembre est « C’est au programme ! » : il fallait donc piocher nos lectures dans les œuvres de programmes de français au bac ou d’agrégation de lettres.
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