Marie Charrel - Nous sommes faits d'orage

Publié le 7 Septembre 2025

Marie Charrel - Nous sommes faits d'orage

Nous sommes la puissance, et pourtant un souffle peut nous détruire.

Outrenoir

Il existe un lieu mystérieux et reculé, perché dans les montagnes albanaises, proche de la mer Adriatique. C’est un lieu si mystérieux et reculé qu’on le nomme le village sans nom.

Ce village semble hors du temps, hors des morsures et des soubresauts de l’Histoire.

Et pourtant, ce village peuplé de mythes, de légendes, héritier d’un vieux code médiéval – le Kanun – est rattrapé par les événements, par la violence des sentiments et des êtres. Il semblerait ainsi que la Kulshedra, cette créature semi-divine des pluies, de l’eau et des tempêtes, ait pris possession de ce lieu et de tous ses habitants.

Peut-on délivrer un lieu et ses occupants passés et présents d’une forme de malédiction, de cette conjonction de mauvaises étoiles ?

Que peut bien faire Sarah dans cette contrée qui lui semble si peu familière, elle qui a quitté l’Albanie à l’âge de six ans en compagnie de sa mère Ester pour l’Islande, la terre de feu et de glace ?

« Trouve Elora ». La demande de la mère à son décès. La demande qui s’accompagne d’une bicoque en héritage dans ce fameux village sans nom.

« Trouve Elora ». Un mantra, une quête, un défi. Un mystère aussi. Qui est Elora ? Pourquoi Sarah doit-elle la trouver ?

Elora devient le point d’ancrage de Sarah dans ce pays qu’elle ne connaît pas bien, dans cette Histoire qu’elle n’a pas vécue, dans ces légendes qu’elle découvre.

Et Marie Charrel plonge son lecteur dans différentes temporalités pour montrer toutes les facettes de ce territoire, de ces habitants, de cette dictature communiste d’Enver Hoxha qui fait des ravages tout comme la vendetta. On suit les parcours d’Ilir, Sokol et Dritan à Tirana dans les années 70 où ils sont étudiants et font des traductions pour servir le régime. L’amour les réunit et les détruit en même temps. On suit Elora en compagnie d’Agon et Durim au début des années 90 dans ce village sans nom qui voit un communisme moribond refaire surface pour « dompter le chiendent des sommets ». On suit la quête de Sarah en 2023 en compagnie de touristes et du guide Niko, un enfant des montagnes. On suit ainsi des femmes et des hommes trempés dans l’outrenoir, « cette matière née de l’ombre et de la lumière mêlées ».

Et Marie Charrel fait des ponts, érige la poésie comme un acte de résistance, de résilience aussi :

« Toujours, tu devras choisir et chérir les mots à la manière des cailloux de ton enfance ».

J’ai retrouvé le même plaisir de lecture que pour son précédent roman, Les Mangeurs de nuit »où la fiction a la part belle, merveilleuse même, pour raconter une réalité. Où la fiction se permet tout. Où la fiction montre qu’elle est souvent bien plus forte pour raconter des choses difficiles et la violence des âmes. Où la fiction est presque devenue un acte de résistance en littérature aujourd’hui…

Merci pour ce merveilleux moment de lecture.

Publié dans #Roman

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
N
En relisant ton billet je m'émerveille à nouveau de la richesse de ce roman à la construction impeccable et m'étonne de sa discrétion dans les médias (contrairement aux librairies qui ont là un super candidat à mettre en avant, un vrai bonheur de lecteur).
Répondre
Elle avait été invitée une fois à La Grande Librairie mais c’est vrai qu’elle n’est pas trop mise en avant. En même temps les médias parlent toujours des mêmes auteurs… <br /> Heureusement qu’il y a les libraires en effet. Elle a un beau parcours depuis le premier livre que j’ai lu d’elle en 2016, « Les enfants indociles » et je vois aussi la progression dans son écriture.