Publié le 20 Juillet 2025

Rim Battal - Je me regarderai dans les yeux

Emancipation et résistances

Le roman s’ouvre sur une scène chez une gynécologue. Une scène qui pourrait être banale pour toute femme. Et pourtant, ce que vit Rim à dix-sept ans n’a rien d’anodin.

On remonte le temps. Rim vit à Marrakech. Comme toute adolescente, elle connaît les premiers émois et cherche à repousser les limites de ce qu’on l’autorise à faire. Un soir, elle est surprise en train de fumer dans sa chambre avec sa sœur. Le déferlement de la violence.

Rim décide de s’enfuir rejoindre sa tante Aida à Casablanca, une tante qui semble plutôt libre et progressiste. Et pourtant, Rim ne s’attend pas à ce que sa transgression prenne des proportions démesurées et engendre des actes qu’elle ne soupçonnait pas devoir vivre. Le tout orchestré par les femmes de la famille. On n’est jamais aussi bien trahi que par les siens.

À travers ce récit, Rim Battal montre la puissance des injonctions patriarcales et la façon dont les femmes les intériorisent. Même dans des milieux plutôt favorisés comme celui de la jeune Rim. On voit que les femmes usent de subterfuges, de stratégies pour conquérir des espaces de liberté dans une violence institutionnalisée, dans une société où seules compte la réputation et les conventions. Les femmes, en voulant protéger leurs filles ou en voulant maintenir une réputation si durement obtenue, ne font qu’alimenter la machine. Elles sont à la fois les victimes et les bourreaux. L’autrice montre qu’au-delà de ces subterfuges, de ces « stratégies de survie », il convient de résister et de faire ce qu’il faut pour gagner véritablement la liberté en tant que femme. Pour s’émanciper définitivement du poids de la société.

J’ai déjà beaucoup lu la poésie de Rim Battal et j’ai retrouvé dans son roman son écriture percutante, incisive que j’aime. Malgré le sujet, le texte n’est pas plombant, au contraire, il y a même des moments drôles et on ressent tellement cette soif de liberté. Son texte est à l’image de la vie, à la fois terrible et belle. Je continuerai bien évidemment de suivre l’autrice tant en poésie qu’en fiction.

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Publié dans #Roman, #Féminisme

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Publié le 16 Juillet 2025

Olivia Tapiero - Un carré de poussière

J’ai adopté différentes formes, différents visages. Oracle et victime, enquête et poussière, insecte et couteau, détective et parasite j’ai tourné sur place aux portes de la raison. Otage d’un écho lent je maganais les vieux chemins. J’avais choisi de bons morceaux pour me faire un corps, et vêtue de bribes je faisais confiance à la boue

Contre la raison

À l’école de la philosophie, la poétesse est tombée de haut. La connaissance rime avec violence. Notre culture n’est que violence. La femme n’est qu’une viande, qu’une chair vivante, qu’une proie.

« À présent percée, frappée de lumière j’avance, dans la poussière et contre la raison ».

Face à une civilisation qui abîme, la poétesse, telle une Pythie, veut faire tomber les masques et soulever la poussière, les particules, les débris. Elle veut remuer la boue.

Olivia Tapiero, en « technicienne d’une scène de crime », décide de mener l’enquête :

« Je vais rédiger un rapport à la hauteur des disparitions, où les ratures sont des fantômes qui parlent ».

Elle n’hésite pas à détourner les philosophes, à renverser la raison en caviardant des pages d’ouvrages comme La République de Platon ou Histoire des animaux d’Aristote. Retourner les armes contre l’oppresseur.

Et elle apprend à lutter à l’horizontal dans ce monde d’une grande verticalité. « La femme s’allonge et c’est à partir de cette horizontalité qu’elle saisit sa condition ».

Olivia Tapiero nous livre ainsi bien plus qu’un recueil de poésie, elle nous donne un essai poétique où elle déconstruit la connaissance, le langage rationnel. Elle construit contre la philosophie, contre la rationalité, contre la misogynie, contre la violence.

Un recueil certes exigeant mais ô combien stimulant.

Il y a les choses et la poussière des choses. Les structures se révèlent quand elles s’effondrent

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Publié dans #Poésie, #Féminisme

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Publié le 29 Juin 2025

Adèle Yon - Mon vrai nom est Elisabeth

Comment basculer du silence au son d'un prénom plombé de secrets ? Autrement dit : quelle es la meilleure manière de lâcher une bombe ?

Silence atavique

Pour qui s’intéresse un tant soit peu aux questions féministes, on sait que de nombreuses femmes ont été internées contre leur gré, pour des motifs souvent futiles. Pour autant, cela n’a pas le même impact quand on le vit dans sa famille, dans sa chair.

Adèle Yon a tout juste vingt-cinq ans quand elle commence à s’intéresser à son arrière-grand-mère. Ce n’est pas vraiment un hasard. Sa grand-mère elle-même s’attendait à ce qu’elle évoque celle qu’on surnommait Betsy. Parce que toutes les femmes de la famille se demandent à un moment ou un autre comment est née la folie de Betsy. Et surtout, « vais-je moi aussi devenir folle ? »

Le premier mot jeté est « schizophrénie ». Mais comment en est-on arrivé là ?

Adèle Yon va faire bien plus que se poser les questions habituelles des femmes de la famille, elle va décider de mener son enquête. Habituée aux archives de par sa formation, elle va chercher des documents pour en savoir davantage sur Betsy et le traitement psychiatrique des femmes. Elle mène aussi des entretiens avec différents membres de la famille, de toutes les générations. Et cette enquête devient vite vertigineuse quand Adèle Yon découvre que la schizophrénie a bon dos...

C’est un ouvrage hybride que nous livre Adèle Yon : retranscriptions d’entretiens avec la famille, des mails, les lettres entre Betsy et son futur mari André, des photos, des archives, des liens avec des films comme Rebecca ou des livres comme Jane Eyre de Charlotte Brontë et son pendant La prisonnière des Sargasses de Jean Rhys. Une pluralité de documents, d’éléments pour raconter cette Betsy dont la vie, elle, a été grandement simplifiée après une lobotomie et un long séjour en HP de 1951 à 1967.

Le récit d’Adèle Yon montre le poids du silence dans la famille et la façon dont on silenciait les femmes à cette époque (les lobotomisés étaient majoritairement des femmes alors que les hommes étaient bien plus nombreux dans les HP). C’est aussi le règne du déni sur le sort d’Elisabeth et même davantage que le déni : l’acceptation de schémas de pensées patriarcaux aussi bien chez les hommes que les femmes. Au point de croire encore à la schizophrénie de la bisaïeule, au point de croire à l’hérédité : « Il y a un tempérament fragile dans cette famille, disait ma grand-mère… »

Avec cette enquête, Adèle Yon découvre qu’elle n’a pas eu héritage de la folie. En revanche, elle découvre qu’elle est en colère :

« Voilà, j’ai voulu panser la plaie par l’enquête et je me suis trouvée doublement en colère, écrasée par leurs voix pleines de silences, écrasées par leurs archives pleines de silence ».

Et nul doute que c’est ce silence qu’elle a reçu en héritage ainsi que la colère de son arrière-grand-mère, une colère qu’elle n’a pas pu exprimer. Adèle réhabilite Betsy, lui redonne la place qu’elle mérite.

Une voix, enfin. Et un vrai prénom : Elisabeth.

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Publié dans #Essai, #Féminisme

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Publié le 23 Juin 2025

Marie-Andrée Gill - Uashtenamu. Allumer quelque chose

C’est ça qui est ça

« Porter sur le monde un regard sans haine ».

Cette réplique du jeune Ashitaka dans Princesse Mononoké est en exergue de ce nouveau recueil de Marie-Andrée Gill.

Porter un regard sans haine.

Pas facile quand on voit le monde se dérouler sous nos yeux. Les guerres, les fascismes, le dérèglement climatique.

Ne pas porter un regard de haine est de plus en plus compliqué et pourtant de plus en plus nécessaire.

Mais, la poétesse, tel un mantra, répète :

« de tout mon cœur

je choisis de croire

que tout est parfait

parce que tout est ».

Dans Uashtenamᵁ, Marie-Andrée Gill nous livre une poésie des petits instants, de nos petites vies bien ordinaires, qui ne pèsent pas bien lourd face à ce qui nous entoure.

Mais ce n’est justement pas ce qui nous entoure : nous formons un tout. Ce n’est pas un entourage, c’est un maillage, des relations, une connexion… ou pantoute !

« c’est peut-être ça le réel

là où il n’y a pas de frontières

entre soi et le reste ».

La poétesse nous invite à poser un regard horizontal sur les choses face la grande verticalité que l’on nous oppose sans cesse. Qui nous oppose.

On côtoie ainsi dans ce recueil la beauté des couchers de soleil, le pick-up de l’oncle décédé en héritage, la naissance d’une nièce, les enfants qui grandissent et deviennent autonomes, les mots échangés avec Danaé..

Changer la focale. Accepter ce qui est sans pour autant se résigner.

Réveiller une conscience. Voir ce qui ne va pas mais être capable de voir ce qui va. L’émerveillement, la gratitude comme moteurs.

C’est une nouvelle forme d’engagement, une philosophie, une spiritualité. De l’apaisement.

C’est allumer quelque chose qui n’est pas forcément définissable d’où son « c’est ça qui est ça ».

Des choses pas définissables peut-être mais pour lesquels on appose malgré tout des mots.

Parce que c’est important.

Parce que « les mots sont capables de modifier la chimie des cerveaux et le battement des cœurs », comme le dit l’écrivaine Leanne Betasamosake Simpson citée par la poétesse.

Tout va peut-être mal mais il y a de quoi se réjouir.

C’est dans cet équilibre que nos vies si ordinaires sont extraordinaires.

Miraculeuses même.

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Publié dans #Poésie

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Publié le 16 Juin 2025

Emile Zola - La Fortune des Rougon

Les Rougon-Macquart #1

J’avais déjà lu plusieurs Rougon-Macquart mais je voulais connaître la genèse de cette immense œuvre. Il me fallait donc lire La fortune des Rougon.

Dès la préface, on connaît le dessein de Zola, à savoir suivre une famille tout au long du Second Empire : « j’analyserai à la fois la somme de volonté de chacun des membres et la poussée générale de l’ensemble ». L’objectif est de montrer de façon scientifique que l’hérédité a « sa pesanteur ». Emile Zola devient avec ce projet l’incarnation du courant littéraire naturaliste.

Tout commence avec Adélaïde Fouque dans la ville provençale fictive de Plassans. De son mari Rougon, elle donne naissance à un fils légitime, Pierre. De son terrible amant Macquart, naissent Ursule (qui donne ensuite naissance aux Mouret) et Antoine. La folie d’une mère engendre deux courants dans la famille : les Rougon, des êtres cupides et avides de pouvoir et les Macquart, marqués du sceau de la violence, de l’alcoolisme mais aussi de la folie.

Vient le 2 décembre 1851 avec le coup d’Etat de Louis Napoléon Bonaparte mettant la Deuxième République à l’agonie. Dans la campagne de Plassans et des villes alentours, des insurgés prennent les armes souvent de fortune pour lutter contre ce coup d’Etat. Silvère Mouret, dix-sept ans, et sa petite amie Miette suivent le mouvement, poussés par l’idéalisme que leur jeune âge renforce. A contrario, chez les Rougon, tout est bon pour suivre le mouvement bonapartiste et réussir enfin à asseoir une fortune et surtout une légitimité sociale.

Outre l’aspect héréditaire, Emile Zola utilise ce premier tome pour glorifier la République et jeter les premières pierres d’une critique contre le Second Empire qui a chuté au moment de la rédaction du livre. Durant toute son œuvre, il dresse « le tableau d’un règne mort, d’une étrange époque de folie et de honte ».

Silvère et Miette, décrits comme bons et purs, sont l’incarnation d’une République sacrifiée à la fleur de l’âge. Miette, avec sa pelisse à capuche et son drapeau tenu fermement de ses petites mains, est une sorte de Liberté guidant le peuple des insurgés. Le parti-pris politique n’est en rien caché. Pour autant, chaque personnage est intéressant à suivre. Mon « préféré » est Félicité Rougon, la femme de Pierre. Ce dernier tente de l’éloigner des choses politiques mais c’est elle qui porte à bout de bras sa famille et lui permet de gravir les échelons. Elle est d’une audace, d’une cupidité et d’une assurance incroyables. Elle calcule tout et a souvent un coup d’avance. C’est vraiment un beau personnage même si ses valeurs sont affreuses.

Zola flirte sans cesse avec la caricature et le manichéisme sans pour autant plonger complètement dedans. Quelques personnages semblent à part, comme le Docteur Pascal, l’un des fils de Pierre, qui va avec les insurgés pour les soigner. La description de Silvère et Miette est parfois un peu trop romantique. J’ai pour autant trouvé toutes les scènes au puits assez belles. Ce qui peut sauver les quelques moments de faiblesse, c’est le style de Zola. Comme dans d’autres tomes, j’ai bien aimé cette alternance de lyrisme, de mordant, d’ironie. Il nous embarque avec lui et ne nous lâche pas.

Je vais donc poursuivre mes lectures ou relectures des Rougon-Macquart dans l’ordre chronologique de parution.

Emile Zola - La Fortune des Rougon

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Publié le 9 Juin 2025

Thomas Flahaut - Bleu Laguna

quand je pense à la Zone elle est au printemps
son printemps de ruine
éternelle

Enfant de la Zone

Dans la préface de ce recueil, Fanny Taillandier dit :

« La poésie : ça parle ou pas ; ça touche, ou pas.

Et là ça touche ».

C’est exactement ce que j’ai ressenti à la lecture des poèmes de Thomas Flahaut. Touchée.

Et ce sentiment de faire communauté avec le poète.

Parce que moi aussi je suis une enfant de la Zone.

Ma Zone n’a pas un paysage montagnard, elle n’est pas dans le Doubs.

Ma Zone est proche de celle de Fanny Taillandier, elle se situe en banlieue parisienne.

Mon père ne travaillait pas chez Peugeot mais dans la métallurgie. Mon père n’avait pas une Laguna mais une Mégane et il aimait lui aussi drifter pour faire rire mes frères et moi.

Mais, nos Zones nous rapprochent, rapprochent la lectrice de l’auteur par la force des mots et ce qu’ils réveillent.

Un réveil brutal car on aimerait parfois oublier que l’on vient de la Zone.

« si je crache par terre c’est parce que j’ai

la haine du sol ».

Mais, quoi qu’il arrive, pour lui, comme pour moi :

« je pue le pays

où que j’aille

le pays me suit comme un nuage ».

On a beau faire ce que l’on veut, côtoyer les « gens dans les librairies », se déguiser, la Zone est toujours là.

Alors, comme elle suit à la trace, autant en faire quelque chose, autant en faire de la fiction ou de la poésie.

Thomas Flahaut dresse une livre-paysage, des poèmes-cartes, une moto-géographie pour raconter ce lieu qui lui colle à la peau et qui pourtant change sans cesse au point de ne plus ressembler au lieu de l’enfance :

« tous les lieux que tu as un jour aimés ou haïs

deviendront un jour suivant des Basic-Fit »

***

« j’ai vu

la Zone s’étaler comme

la tache de moisi près du lave-vaisselle

le sais qu’avant les Hypermarchés il y avait

le terrain vague

tout ça je l’ai vu ».

Où est la réalité, le souvenir, la fiction ? On navigue forcément entre deux eaux et c’est peut-être justement ce qui touche aussi dans ce recueil et que Fanny Taillandier dit bien mieux que je ne pourrais le faire : « l’émotion d’un monde qu’on ne pourra jamais vraiment décrire, mais qu’on écrira quand même ».

Thomas Flahaut - Bleu Laguna
Thomas Flahaut - Bleu Laguna

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Publié dans #Poésie

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Publié le 5 Juin 2025

Claire Dutrait - Vivre en arsenic

Catastrophe silencieuse

La vallée de l’Orbiel a été le site d’une exploitation d’or et d’arsenic de la fin du XIXe siècle jusqu’à la fermeture de la mine en 2004.

Malgré la fermeture, l’exploitation minière a laissé derrière elle une pollution importante à l’arsenic affectant aussi bien l’environnement que les corps des habitants. Les événements climatiques dont les inondations de 2018 ont engendré des ruissellements toxiques dans les zones de stockage.

Et pourtant, « Comment parler d’une catastrophe qui ne soit pas son nom ? »

L’autrice en se rendant sur place pour enquêter, ne voit rien au départ car tout est invisible et invisibilisé par l’inaction de l’Etat. Il lui faut passer par des experts, par des témoignages d’habitants pour palper ce qui était impalpable au premier abord : « Je sais mais je ne sens rien »

Claire Dutrait cherche à mettre la lumière cette catastrophe silencieuse, à capturer les « restes » de cette histoire minière avec des mots pour « tenter de dire quelque chose de cette manière très contemporaine de vivre avec des restes auxquels on n’a pas donné de nom, quelque chose de la texture du monde d’aujourd’hui ».

Le livre ne se présente ni comme un documentaire ni comme un simple récit d’enquête. C’est un livre hybride qui repose aussi bien sur des faits tangibles que sur une approche littéraire particulière. Elle créé par exemple un lien entre la vallée dégradée par l’arsenic et le destin tragique de Madame Bovary où elle invente le destin de sa fille Berthe. Elle fait également des ponts avec sa mère décédée tragiquement d’un cancer ou encore avec les témoignages des habitants. La poésie prend aussi toute sa place ainsi que le rêve.

Avec cette pluralité des points de vue et des approches, Claire Dutrait montre que les catastrophes ne se comprennent pas, ne se ressentent pas facilement si on n’adopte pas une pluralité de points de vue et d’approche.

Et ce texte-là qui avance avec des restes. Restes d’une enquête, restes de documentations, bribes de récits. Qu’est-ce qu’il fait sinon entrer en écho avec la geste minière, qui rassemble la légende extractiviste, l’épopée des mineurs et le mythe des alchimistes. Tous cherchent à donner sens et valeur à des restes qu’on croyait perdus. Tu vois bien qu’ici aussi le sens surgit entre les phrases. Et que toi-même tu exploites le filon, en quête de sens, en quête de valeurs qui nous diraient comment juger la mine et la catastrophe qu’elle a générée pour les générations des générations

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Publié dans #Essai, #Ecologie, #Poésie

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Publié le 31 Mai 2025

Arnaud Dudek - Un printemps en moins

Tu es allongé sur un lit d’hôpital à présent.
[…]
Tu ne sais plus comment.
Mais tu sais pourquoi.

Printemps silencieux

Mai, le joli mai embarque le printemps, les ponts et les gens vers l’été. C’est doux, c’est léger. Mais pas cette année. Mais pas ce printemps.

Gabriel, quatorze ans est dans le coma au fond d’un lit d’hôpital. La raison est le harcèlement scolaire qu’il subit. Comment en est-on arrivé à cette situation ? Pourquoi personne n’a su voir les signaux d’alerte ?

Ces questions sont soulevées avec brio par Arnaud Dudek dans ce roman choral où, tour à tour, nous avons Gabriel (à la seconde personne du singulier), Martin, le père (à la première personne du singulier) puis Marion, une des profs du collège (à la troisième personne du singulier). D’autres personnages font leur entrée par-ci par-là pour apporter un éclairage.

Le récit est brut, épuré mais fin, élégant et je dirais même enveloppant.

J’ai mis du temps à lire ce roman et pourtant, j’ai l’habitude avec Arnaud Dudek des sujets sensibles. Je pense notamment à Tant bien que mal qui abordait la pédophilie. Non, j’ai mis du temps à le lire car le sujet était sans doute un peu trop personnel, ayant moi-même subi au collège du harcèlement. C’est devenu ma hantise une fois prof et c’est toujours ma hantise en étant mère. La différence entre Gabriel et moi, c’est que moi, une fois sortie du bahut, j’étais protégée chez mes parents. Gabriel, lui, subit sans cesse le harcèlement avec les réseaux sociaux. Les conséquences sont donc d’autant plus désastreuses.

Arnaud Dudek a vraiment l’art de raconter les points de bascules, les instants de fragilité de personnages lambdas dans des situations difficiles, tragiques. Ces situations qui font souvent que quelques lignes dans les journaux dans la fameuse catégorie « faits divers » ou elles sont, au contraire, outrageusement médiatisées car récupérées par les hommes politiques.

Or, le harcèlement est une histoire de silence qu’il faut parvenir à briser. Le défi est grand, les moyens mis en place peu nombreux et efficaces. Et pourtant, on a envie que des livres comme celui d’Arnaud Dudek viennent changer les choses. Et puis, malheureusement, on voit de nouveau les informations, on voit le cas d’un lycée à Saint-Tropez qui a été obligé de réintégrer des harceleurs… On a envie de « traverser les nuages. Sans se mouiller ». En attendant, on avance comme on peut.

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Publié dans #Roman

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Publié le 26 Mai 2025

Pierre Loti - Pêcheur d'Islande

C’est pas l’homme qui prend la mer, c’est la mer qui prend l’homme

Pour ce dernier challenge « Les classiques c’est fantastique » de la saison 5, nous étions conviés à aller piocher dans les thèmes des précédentes saisons. J’ai choisi celui « Bord de mer ou grand large » de la saison 3 (vous connaissez mon amour de la mer). Et comme beaucoup des participants de l’époque, je me suis tournée vers Pêcheur d’Islande de Pierre Loti.

Ce roman, avant même de l’ouvrir, on sait. On sait que tout va mal se passer. Comment cette histoire pourrait-elle bien se passer alors qu’il est question de la mer, de la pêche ? Les histoires de mer, tout comme les histoires d’amour finissent mal. En général.

Pêcheur d’Islande est une histoire d’amour entre Yann, pêcheur à bord de la Marie puis de la Léopoldine (je remarque que c’est le prénom de la fille de Victor Hugo… au destin tragique…) et Gaud, la fille d’un riche commerçant de Paimpol qui a vécu auparavant à Paris.

Une histoire d’amour impossible entre deux être timides où la mer joue la maîtresse exigeante, possessive.

Pierre Loti nous permet de suivre ceux que l’on nommait les Islandais, ces pêcheurs qui, chaque année, se dirigeaient vers la mer du Nord pour pêcher et affronter de terribles tempêtes.

Au-delà de l’histoire d’amour, c’est toute une société et toute une économie bretonnes des pêcheurs et armateurs qui sont dépeintes.

Alors oui, c’est lyrique, très romancé. La réalité est édulcorée – nous sommes après tout dans un roman – mais, tout de même, l’auteur met en avant les difficultés des pêcheurs et de leur famille face à la mer qui les engloutit. Combien de morts dans chaque famille ? Combien de veuves et d’orphelins ?

La mort est ainsi omniprésente dans ce roman. Nous sommes presque dans un éloge funèbre permanent entre les décès au large et les attentes fébriles au port. Il ne faut pas oublier que Pierre Loti – Louis Marie Julien Viaud de son vrai nom – était lui aussi un officier de marine tout comme son frère Yann mort en mer.

Avec cette mort qui rôde, la foi, très importante en Bretagne, devient un refuge pour les familles.

J’ai été agréablement surprise par ce roman bien rythmé, bien écrit. Alors oui, le côté aventurier de la pêche est à relativiser face aux drames mais c’est un livre fort, un véritable témoignage de la vie de cette région de Paimpol à la fin du XIXe siècle (et au-delà).

Les classiques c'est fantastique - saison 5 - mai 2025

Les classiques c'est fantastique - saison 5 - mai 2025

Mon choix de thème - saison 3

Mon choix de thème - saison 3

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Publié le 19 Mai 2025

Cathie Barreau - Lettre de Natalia Gontcharova à Alexandre Pouchkine

Chaque grain de peau est un monde. Tes doigts ne savaient pas donner. Tu ne laissais pas le temps que l’on t’aime. Tu te fourvoyais sur le désir : le tien et celui des femmes.

Onde sensuelle

En 1837, l’auteur Alexandre Pouchkine provoque en duel Georges d’Anthès accusé d’être l’amant de sa femme Natalia Gontcharova. D’Anthès le blesse gravement au ventre. À l’agonie, Alexandre est ramené chez lui où il va mourir.

À partir de ce matériau réel, Cathie Barreau construit une fiction forte, aussi bien sensuelle que politique.

Tandis que son mari agonise dans la chambre d’à-côté, Natalia s’installe au bureau de son mari, prend la plume et lui écrit la plus longue, la plus franche, la plus belle lettre de sa vie. Une lettre qui ne pourra sans doute jamais être lu par son destinataire. Et pourtant, elle est là ; les mots coulent, ponctués par les gémissements, les râles d’Alexandre.

Natalia est une femme qui n’a connu que la solitude dans sa quête du désir, du plaisir. Elle rêvait que son mari et elle ne fassent plus qu’un. D’esprit. Mais aussi de corps.

Alexandre, l’homme volage. L’homme qui a toujours été dans la conquête. Dans l’assouvissement de ses désirs. Mais tout n’était qu’illusion.

Natalia, elle, sait ce que c’est. Le désir. Le plaisir qui en découle.

Si elle n’a jamais fauté avec d’Anthès, elle a connu « l’homme des promenades ». Les promenades comme le symbole d’une quête lente, patiente.

Le désir ne naît pas dans la vitesse. Le plaisir n’est pas une conquête, un droit qu’on arrache comme on tire une balle pendant un duel ou durant une guerre.

Ainsi, progressivement, la lettre se fait politique. Alexandre devient le représentant d’une culture viriliste. Il ne songe qu’à son désir tout en n’acceptant pas qu’un homme puisse lui aussi désirer sa propre femme ; sa propriété qu’il défend jalousement.

Dans sa lettre, Natalia ose enfin s’affranchir définitivement de cette possession même si, dans les actes, la liberté a déjà été acquise. Pour autant, pas de revanche, juste le constat clair et triste de deux êtres qui n’ont jamais vraiment su se trouver malgré l’amour qu’il y avait entre eux.

Alexandre, tu vas mourir et nous ne nous rencontrerons jamais.

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Publié dans #Roman

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